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Critiques-cinema
13 mars 2007

L'HOMME DE LA PLAINE - Anthony Mann

L'HOMME DE LA PLAINE - Anthony Mann - 1955
TRAGEDIE SHAKESPEARIENNE

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Le taciturne Will Lockhart livre des vivres à Barbara Waggoman, qui possède une boutique dans une petite ville perdue en territoire apache. Il se heurte à Dave Waggoman, cousin de cette dernière et fils d'un rancher brutal et autoritaire, Alec, et se met à la recherche d'un mystérieux trafiquant d'armes, qui fournit des fusils aux Indiens...

Mercredi soir, je me rends au cinéma de Munster pour la soirée consacrée à Anthony Mann, où deux de ces westerns sont diffusés dont son plus célèbre : L'Homme de la Plaine (puisque étudié au Bac option lourde Cinéma), suivi de Je suis un Aventurier. Ce dernier étant moins réussi que le premier était néanmoins tout de même intéressant à voir selon l'approche qu'on prenait par rapport à la carrière du réalisateur afin de comprendre à quel point l'Homme de la Plaine parvient à conclure de façon grandiose la si célèbre série de westerns d'Anthony Mann : "Je voulais récapituler, en quelque sorte, mes cinq années de collaboration avec Jimmy Stewart. J'ai repris des thèmes et des situations en les poussant à leur paroxysme". Dernier des six westerns du cinéaste interprétés par James Stewart, Mann conclut sa série de films (Les Furies, Winchester 73, les Affameurs, l'Appât, Je suis un Aventurier), qui s'imposent assurément comme le sommet de l'oeuvre manienne, par l'Homme de la Plaine, quintessence du western mannien même puisque certaines lignes de forces principales sont accentuées : L'aspect quasi-névrotique du héros incarné par Stewart et la violence sadique qui caractérise les personnages principaux et leurs relations.

Will Lockart, héros qui conserve toutes les facettes du personnage type des westerns d'Anthony Mann, rappelle Ethan Edwards de la Prisonnière du Désert non pour son racisme envers les indiens mais pour sa névrose engendrée par son caractère, les déroulements du récit ainsi que son destin dont il essaye de se détacher pour renoncer à sa vocation de vengeur. Anthony Mann ne fait alors plus que ressortir l'aspect maladroit d'un personnage, mal dans son corps dont les valeurs communes à l'Amérique trouvent des fondements nettement plus sombres et pessimistes, comme la vengeance, qui rendent les protagonistes ambiguës, malades et névrotiques. James Stewart n'a pas le même physique que John Wayne et son visage angélique ainsi que toutes les prestations laissées derrière lui ne pouvaient que faire transparaître Will Lockhart comme un homme qui souffre intérieurement (dans la Vie est Belle, Stewart souffre du manque d'argent et immatériellement, du désespoir, dans Sueurs Froides, c'est de la peur du vide dont il souffre). Si Will
s'est reconverti en transporteur de marchandises, ce n'était pas pour déposer sa marchandise devant Barbara Waggoman à Coronado mais bien et bel pour assouvir la vengeance qui le torture intérieurement afin de se libérer de toutes les séquelles et blessures qui recouvrent son corps. Mann suit donc suit l'aventure individuelle de son personnage, installe le spectateur quand l'intrigue débute et Stewart, d'étape en étape, mène le spectateur à sa quête de vengeresse et révèle une personnalité bien éloignée du manichéisme habituel du genre jusqu'à lui faire assister la phase ultime de la démarche de Will Lockhart.

Outre l'itinéraire individuelle et la descente aux enfers du héros, l'Homme de la Plaine doit sa réussite à la très grande richesse intérieur des différents personnages dominés par Alec Waggoman. L'enjeu dramatique où Stewart est pour la première fois humilié par Dave enclenche tout le début de violence qui va recouvrir le restant du film comme durant la séquence de la "correction" de Dave et de Vic par Stewart (l'une des scènes les plus marquantes de tout le film), pour la première fois les protagonistes sont tous rassemblés, leurs relations sont définies subtilement et les destinées, anticipées. En ce sens, l'Homme de la Plaine semble prendre des allures de grande tragédie puisque l'intrigue présentée dans une relation filiale est une libre interprétation du Roi Lear dans l'univers du western : Dave qui a du mal à reconnaître son complexe d'oedipe est le fils réel d'Alec Waggoman qui, lui, regrette d'avoir eu Dave comme fils, Vic est son fils spirituel dans lequel il place tous ses espoirs, Lockhart est le fils idéal qu'il aurait souhaité avoir mais qu'il n'aura jamais car tous deux se ressemblent (drame intérieur, anciens de la Conquête de l'Ouest, etc...). L'Homme de la Plaine arrive tant à surpasser les westerns mannien qui le précédait tant au niveau de la richesse des caractères des personnages que dans le travail du visuel. La mise en scène se déploie et ose beaucoup plus que dans Je suis un Aventurier ou les Affameurs, le sens du découpage, la participation de nombreux décors et de paysages naturels du Nouveau-Mexique, éléments majeurs de la mise en scène, sont comme sublimés par le premier emploi de Mann d'un splendide Cinémascope.

Ici, rien de drôle. Par son absence d'humour et de l'aspect « picaresque » que montraient les westerns précédents de Mann, l'Homme de la Plaine tend à se démarquer de tout ce qui le précédait tant dans cet élément que par l'aspect visuel du film et parvient ainsi donc à figurer comme le meilleur, le plus grand et le plus célèbre western réalisé par Mann car il arrive à rendre compte de la mutation de son cinéaste qui atteint là, une vision hautement plus tragique, désespérée, noire et malade d'un monde, d'un monde plein de paroxysmes, à l'image de ces personnages qui en sont hantés.

Critique écrite par Clémentine le 18 novembre 2006

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