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Critiques-cinema
4 mars 2007

VAN GOGH - Maurice Pialat

VAN GOGH - Maurice Pialat - 1991
DEMYTHIFICATION DU GENIE

667552782Les derniers jours du peintre Van Gogh venu se faire soigner chez le docteur Gachet à Auvers-sur-Oise. Terribles derniers jours partagés entre une création intensive, des amours malheureuses et surtout le désespoir.

En 1987, Maurice Pialat recevait la Palme d'Or (dernière Palme française de ces dernières années) avec beaucoup de réticences et dans un climat plus que tumultueux et agité. Quatre années plus tard, Van Gogh était présenté, cette fois-ci, dans une ambiance plus calme et sereine et était très attendu par les (rares) fervents et seuls défenseurs du cinéaste très critiqué durant toute une carrière accompagnée de maintes échecs commerciaux. Et c'est seulement le succès tant critique que public qui est venu confirmer la place de Maurice Pialat
dans le cinéma français. Il aura fallu attendre la sortie en salles et l'accueil enthousiaste des critiques aussi bien que du public (1 300 000 entrées !) pour que Maurice Pialat se trouve enfin consacré comme l'une des grandes figures du cinéma français. Mais toujours en marge du cinéma français dit « représentatif » (Truffaut, Godard, Chabrol, Rohmer, Demy...), Maurice Pialat était et restera l'un de ses marginaux, bien éloigné de la Nouvelle Vague, du cinéma français, à ranger aux côtés de Bresson ou de Tati et de bien d'autres encore. Certes, le cinéaste est maintenant reconnu mais il l'a été très tardivement, comme l'aura été un certain Vincent Van Gogh (reconnu après sa mort), et il semblerait qu'il est toujours quelque peu méconnu. Un intégrale des films de Pialat est sorti récemment en DVDs comme si sa reconnaissance se faisait, une reconnaissance juste après sa mort, toujours comme Van Gogh.

Le cinéma s'est bien souvent plu à se filmer (la Nuit Américaine de Truffaut, le Mépris de Godard) mais il s'est aussi plus à filmer les autres arts. De nombreux films se sont consacrés à tant d'artistes et de peintres (le Mystère Picasso de Clouzot) et l'art vu par le cinéma est aussi une façon de s'exprimer soi-même sans se donner en spectacle (La Vie Passionnée de Van Gogh
de Minnelli, Andréï Roublev de Tarkovski). On a souvent obtenu des biographies on ne peut plus convenues (on peut s'amuser à citer tous les films de la vague actuelle des biopics : Walk The Line de James Mangold, etc) mais aussi des biographies plus audacieuses comme la fameux Van Gogh de Maurice Pialat où le cinéaste se raconte justement en Vincent Van Gogh comme Andréï Tarkovski s'est raconté en Andréï Roublev. Ici, Pialat regarde son personnage dénué de toute mythification, de tout mysticisme, de toute religiosité, de toute idéalisation. Il se plaît plutôt à décrire l'art sans la religion de l'art en effaçant toute notion de spiritualité dans le lien de l'artiste à son oeuvre. Il préfère insister sur le travail, sur le nombre de toiles qui s'accumulent dans les deux appartements, sur tout le matériel dont il faut s'encombrer pour peindre. Ce qu'on voit de Van Gogh dans le film, rien ne vient nous dire qu'il s'agit là d'un « génie » ou d'un « grand peintre ». Certes, notre connaissance extérieure nous permet de savoir qu'il s'agissait là d'un grand peintre mais ce que nous montre Pialat ne nous le permet pas : ni les toiles, ni l'opinion de Gachet (qui confond d'ailleurs de façon ridicule les toiles de Van Gogh à celles de Gilbert).

Le film zappe toute la mythification faite autour du peintre : l'anecdote de l'oreille coupée qui contribue largement au mythe « Van Goghien » est balayée. Mais il y a aussi le développement du thème sexuel. La légende de Van Gogh dut souvent à insérer le peintre qu'on croyait asexué, dans un cadre puritain. Or, dans le film de Pialat, le peintre fait l'amour aussi souvent qu'il peint. Mais ce que cherche à montrer avant tout le cinéaste français est l'impossibilité du cinéma de saisir les mystères de la peinture. Dans Van Gogh, quelques gros plans sur une main (celle de Pialat) qui peint, mais c'est tout, juste la création. Dans la séquence de la robe blanche, dans la composition du plan essentiel, de cette scène, est très importante pour illustrer cette idée : la caméra est séparée de la toile de Van Gogh par un mur, seule une fenêtre permet d'apercevoir la toile, enchâssée dans le cadre, "frame in the frame", vue de dos. Je parlais aussi tantôt de l'exploitation du thème sexuel, dans cette séquence-ci, le peintre est autant stimulé dans l'idée de peindre que d'un éventuel contact physique avec la jeune fille
. Mais sinon, il y a, dans la manière dont Pialat appréhende le cinéma (il le considérait inférieur à la peinture et à la littérature et son style d'enragé part de là), quelque chose qui tourne autour de la représentation picturale. Son cinéma établit un lien particulier avec la peinture car, selon Pialat, il est une sorte de prolongement de cet art (on sait d'ailleurs que Pialat, en tant que passionné de peinture et fan de Poussin, a beaucoup peint), mais qui, en plus de celle-ci, imprime le mouvement en restant fixe (il méprisait généralement le mouvement de caméra).

Le cinéaste français se raconte dans le peintre Vincent Van Gogh. En effet, ce dernier est présenté comme un artiste marginal dans de nombreux éléments. Dans son physique premièrement, il présente une maigreur alarmante ; marginal dans ses rapport avec ses artistes contemporains qu'il n'a pas l'air d'apprécier (sauf Cézanne) comme Pialat appréciait peu tous les réalisateurs de la Nouvelle Vague (lors du tournage de l'Enfance Nue, il a injurié François Truffaut de « connard » alors producteur du film). Et hormis le docteur Gachet, personne ne semble prêt à acheter ses oeuvres et encore... ! Si le docteur Gachet considère Vincent Van Gogh comme un précurseur, ce n'est que dans son intérêt qu'il dit ça. Il essaye juste de se donner l'image d'un passionné d'art éclairé et pourtant il confond de façon ridicule les toiles du peintre à celles d'un autre artiste. Van Gogh est totalement incompris. Ni la fille du docteur Gachet, aux goûts sans doute conformistes, qui l'aime mais qui rejette violemment son art et un de ses portraits faits par Van Gogh
reprochant le choix des couleurs et des formes qui ne sont pas réalistes. Ni Gilbert qui critique le manque de fluidité dans ses tableaux. Van Gogh est incompris comme l'a longtemps été Pialat en son temps. Et si Van Gogh meurt, ce n'est pas de son manque de reconnaissance mais de son manque de liberté, étouffé parmi toutes les toiles qui encombrent les appartements. Il est souvent brusquement interrompu dans sa création pour... manger. Etouffé aussi des jugements des autres.

En opposition à la Vie Passionnée de Van Gogh, Pialat refuse l'idéalisation du peintre, ici, qui n'arrive pas à concilier l'art et la vie, pour dresser le portrait brut
, certes romancé dans les évènements mais juste dans la façon de peindre ce personnage, avec sa caméra, dont il avait compris toutes les souffrances qu'il a connues.

Critique écrite par Clémentine le 26 décembre 2006

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